UN PEU D'HISTOIRE...
La reconstruction de Brest est déjà bien avancée en 1947 lorsque, le 28 juillet, survient en rade l'explosion de l'Ocean Liberty, un Liberty Ship chargé de nitrate d'ammonium. Le quartier de Saint Marc est gravement touché et de nombreuses initiatives voient le jour pour venir en aide aux sinistrés.
C'est dans cet esprit que Yann Camus, sonneur de biniou qui tenait alors le "Café du Bot" près de l'église de Saint-Marc, entreprend une tournée du Finistère. Avec quelques sonneurs rassemblés à son initiative et en compagnie du Cercle Celtique de Brest, emmené par Pierre Jestin, ils parcourent le département dans le but de collecter des fonds pour les victimes et leurs familles. C'est l'acte fondateur de la Kevrenn Brest Sant Mark.
Dès lors, l'activité de la Kevrenn est à l'image de la ville : un chantier. Les lieux de répétitions en témoignent : situés sur la ligne de front des bulldozers, ils font des sonneurs brestois les derniers occupants de locaux voués à la démolition, tels que la Caserne Fautras, Satos, la Librairie de la Cité, le Nouveau Théâtre... Le groupe s'installe ensuite plus durablement au sous-sol des halles Saint-Louis et arrive ensuite bien plus tard rue Proud'hon dans un local attribué par la ville de Brest.
La Kevrenn s'est désormais établie dans le quartier de Sanquer, à la place de l'ancienne école Levot.
Sur les ruines de la culture rurale bretonne, il faut se forger une identité urbaine tournée vers l'avenir et vers les autres, et on ne s'embarrassera pas des attaches du passé, en dehors du choix, plus ou moins conscient, de préserver l'essentiel : la langue et la musique qui s'y rattache.
En 1950, un "pipe-band" venu de Glasgow, ville bienfaitrice, inspirera aux dirigeants du groupe la formation du Bagad sur des bases plus rigoureuses. Délaissant ses instruments d'origine, la Kevrenn se dote, en 1954, de cornemuses et d'une batterie écossaise, grâce à un prêt consenti par la Chambre de Commerce.
Dès que le cœur de la cité s’est remis à battre, la Kevrenn est de toutes les cérémonies : elle ouvre ou clôture le défilé de la Fête des Écoles ou celui du Festival des Cornemuses. Elle anime les fêtes de quartier, les kermesses, les inaugurations... Elle sonne le coup d’envoi de grandes rencontres sportives au départ du Tour de France ou du tour du monde de la Jeanne d’Arc... Elle fréquente les salons de l’Hôtel des voyageurs, ou de la Préfecture Maritime en attendant le retour de la Musique des Équipages de la Flotte.
C'est également à cette époque que se structure la formation au sein de la Kevrenn.
Marcel Ropars, frère de Loeiz, dispense une formation axée sur la connaissance du patrimoine musical et culturel breton.
Herri Leon se rend en Écosse pour perfectionner sa technique en cornemuse. Il en revient diplômé du College of Piping, et se met aussitôt à enseigner son savoir. Malheureusement, un accident de cyclomoteur lui est fatal en 1962. Une rue située près du Lycée Amiral Ronarc’h porte aujourd’hui son nom, en témoignage de son enseignement de la cornemuse dont ont bénéficié les meilleurs "pipers" du moment, dont
Alan Stivell-Cochevelou.
A l’inverse, les batteurs profitent de la venue à Brest de Bobby Mac Gregor pour enregistrer ses cours et mettre au point une méthode d’apprentissage adaptée aux besoins de l’époque. Avec de tels formateurs, le groupe ne tardera pas à obtenir des résultats de premier plan aux concours de bagadoù organisés à Brest dans le cadre du Festival des Cornemuses.
En 1965, la Kevrenn rompt davantage encore avec le passé rural en abandonnant le costume de Plougastel-Daoulas, qu’elle portait jusqu’alors. Elle adopte un costume plus ancré sur les rives de la Penfeld, dont la maquette fut réalisée par Jim Sevellec, peintre brestois, artisan du Musée de la Tour Tanguy.
Dans le cadre du Festival des Cornemuses de Brest, puis à Lorient dans le cadre du Festival Interceltique, la Kevrenn s’impose à de nombreuses reprises, par une démarche originale qui allie l’innovation technique et la qualité des arrangements dus à des musiciens membres du groupe comme Alain Trovel, ou extérieurs, comme Pierre-Yves Moign.
En 20 ans, elle remporte ainsi 11 fois le titre de Champion de Bretagne, face à des challengers de talent, en particulier le Bagad Bleimor, tenant d’une approche traditionnelle, et la Kevrenn de Rennes sur une ligne plus harmonisée.
En 1975, la Kevrenn décide de faire une pause dans le travail de compétition, jugé astreignant, afin de pouvoir se consacrer à une mise en valeur de son projet musical. Celui-ci vise à élargir le spectre sonore du bagad, et sera par ailleurs davantage tourné vers le grand public.
Dans cette optique, plusieurs évolutions importantes sont amorcées, parmi lesquelles : l’adjonction d’un clavier (orgue électronique au départ) qui apportera à l’ensemble un meilleur équilibre dans les basses, la création d’un groupe de danse, qui proposera une illustration visuelle de la musique de la Kevrenn. Il est doté d’un costume de scène également contemporain, et certains musiciens y participeront activement.
L’ensemble se produit dans cette nouvelle formule, en particulier à l’occasion du Festival des Cornemuses de Strakonice (République Tchèque) en aout 1975, auquel la Kevrenn a déjà participé en 1969 et 1972. L’expérience séduit et amène la Kevrenn à envisager de nouvelles expériences.
En 1976, à l’issue d’une ultime participation au concours de Lorient, le groupe décide de quitter à la fois la compétition et la fédération des bagadoù (bodadeg ar sonerion), et adopte un fonctionnement totalement autonome afin de se consacrer pleinement à la réalisation de son projet musical. Il s’agira en effet de faire admettre que le terme de concert peut s’appliquer à un ensemble de musique bretonne.
Le concept est original (voire audacieux) à l’époque et vise à promouvoir auprès des organisateurs et du public une meilleure valorisation d’une musique de bagad, voulue plus accessible.
La programmation de la Kevrenn privilégie alors l’ouverture favorisant ainsi les rencontres et expérimentations avec d’autres instrumentistes. Une expérience importante est menée en 1980 avec la Musique des Équipages de la Flotte, qui tente d’intégrer bagad et harmonie. Un disque 33 tours est enregistré à cette occasion, qui réunit des arrangements d’airs traditionnels et des compositions créées spécialement, notamment par Alain Trovel et Christian Desbordes.
Les années 80 verront se réaliser, dans le même esprit, différentes collaborations visant à développer la capacité de la Kevrenn à maitriser une production scénique en association avec d’autres artistes : Melaine Favennec, qui amène une expérience rythmique décisive au travers de fusion "jazzistiques", Bleizi Ruz, Dominique Molard, Gwalarn... qui seront autant des partenaires que des catalyseurs de projets.
C’est aussi une période de tournées fréquentes à l’étranger, en particulier en Galice (Ortigueira, La Corogne, Vigo...) et à Strakonice, en République Tchèque, mais également en France : Confolens, Bayonne, Rochefort... La Kevrenn n’en délaisse pas pour autant l’élargissement de son public local et régional, puisque le groupe se produit, en saison et aussi par choix hors saison, à raison d’une douzaine de prestations par an devant des auditoires très variés.
Dans les années 90, le groupe a atteint une certaine maturité dans une formule intégrant claviers, percussions (élargies au-delà de la batterie écossaise), et valorisant, à chaque fois que possible les compétences internes (uileann-pipe, flûtes...). Le répertoire s’oriente délibérément vers des compositions originales, qui exploiteront les ressources disponibles. De 1991 à 1993, la Kevrenn participe par ailleurs au projet de "La Passion Celtique", regroupant 120 musiciens et choristes, composition musicale de Christian Desbordes pour le spectacle theatral d’Ar Vro Bagan.
En 1997, la Kevrenn décide de concentrer ses efforts sur la formation et l’intégration, et lance le bagadig. Le 50ème anniversaire du groupe est par ailleurs l’occasion d’un nouveau spectacle (Hier et Demain), réunissant de nombreux partenaires musiciens et compositeurs, et permettra également de jeter les bases du premier "Printemps des Sonneurs", qui pour des raisons de calendrier aura en fait lieu début 1998.